3 Analyse

Lecteur, avez-vous bien en tête les aventures des vingt-deux personnages nommés dans les quelques pages de ce «document» ? Le style de ce récit à tiroirs est très ramassé, ce qui ne nuit en rien à la clarté et à la précision de l’écriture. Toutefois, et cela pourrait justifier «en forme de canevas», nous aimerions souvent en savoir plus : quel est le poème composé par Pérot, qu’a-t-il fait entre sa vingtième et sa centième année, que représente la première sculpture de Varly, quel est le livre dont Jacques regarde les gravures, quel est l’étrange «club scientifico-médical» fréquenté par Sableux, que sont la Farquita et le jeu du sertino, etc ? Et pourquoi Roussel nous détaille-t-il si précisément le timbre taillé à la gloire d’Ole, alors qu’il expédie en une ligne l’affreux drame de la rue Barel ?

Ce texte, nous allons le relire ensemble, sans nous laisser abuser par le mot «canevas» ni par le fait qu’il s’agit, nous dit Roussel, d’un fragment d’un ouvrage inachevé. Il n’a nul besoin d’être développé ou complété. Chaque mot y est pesé et ce sont ces mêmes mots, lus d’une tout autre manière, qui nous fourniront les réponses aux questions ci-dessus.

3.1 Le sonnet orgueilleux

Nous faisons d’abord la connaissance d’un poète centenaire, Pérot, qui a transformé son nom en Pérou, en remplaçant le t «par sa suivante alphabétique», pour évoquer «richesse d’idées» et «rimes d’or». Il n’est bien sûr pas impossible que Roussel joue avec les lettres, mais son prétendu «procédé» est censé reposer sur des jeux phonétiques (homophonie, dislocations). C’est plutôt le r du nom qui est devenu une riche s ; le mot peso évoque encore mieux la richesse et l’or, ainsi d’ailleurs que le Pérou, le Mexique qui est présent dans le texte et d’autres pays d’Amérique latine que nous allons découvrir.

Depuis sa vingtième année, «Seize lustres passèrent sans le courber». Transformée en lampes à dos fort, cette phrase fait apparaître un mot rare qui permet de deviner quel est le Sonnet Orgueilleux dont Pérot n’a composé que les treize premiers vers. À ce stade, ce n’est bien sûr qu’une conjecture, mais elle sera amplement justifiée par le tissu de relations que nous allons découvrir. Le lecteur me pardonnera de lui mettre sous les yeux un poème aussi connu, mais Roussel en fait une lecture si minutieuse que le numérotage des vers devient nécessaire — peut-être même aurais-je dû numéroter les phonèmes.

  1. Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
  2. L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
  3. Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
  4. Que ne recueille pas de cinéraire amphore

  5. Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
  6. Aboli bibelot d’inanité sonore,
  7. (Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
  8. Avec ce seul objet dont le Néant s’honore).

  9. Mais proche la croisée au nord vacante, un or
  10. Agonise selon peut-être le décor
  11. Des licornes ruant du feu contre une nixe,

  12. Elle, défunte nue en le miroir, encor
  13. Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
  14. De scintillations sitôt le septuor.

Les «rimes d’or» sont bien là : si l’on ne distingue pas rimes masculines et féminines, il y a huit rimes en or et six en ix. Comme le dernier vers manque, il ne reste plus qu’un septuor de rimes en or. Il s’agit donc d’un poème de treize vers sur deux rimes, disposées exactement commes celles d’un rondeau [5] . Il n’y a pas, il est vrai, de vers répété mais, en compensation, une rime très riche.

Ce poème est double, et son auteur aussi. Il faut lire encore lent, pas dos fort — et donc rond dos en vieux — et ce vieillard que les ans n’ont pu courber se métamorphose sous nos yeux. Lorsqu’il «cisela. . . un spirituel Sonnet Orgueilleux» [6] , le résultat fut un Rondeau Envieux.

L’orgueil et l’envie incitent à parcourir la liste des péchés capitaux. Rien ne nous oblige à donner une interprétation tragique à «Un matin il ne s’éveilla pas» ; ce peut être un problème de réveil : pas sonnet, paresseux ! Pour la gourmandise, on peut extraire dents sales à matelote de «il dansa la matelote» d’autant plus que la dislocation de [v] fournit dents sauce sale. En ce qui concerne la luxure et la «prouesse» du centenaire, attendons un peu.

3.2 Cornes et miroir

La statue de Pérot porte malheur et les passants font «les cornes». Il est représenté devant la mer «la main en visière, contemplant avec amour sa mugissante inspiratrice». Nous comprenons bien sûr que l’inspiratrice est la mer et nous imaginons ce noble vieillard, la taille cambrée et les yeux fixés sur l’horizon. Mais si c’est la corne de brume qui mugit, l’inspiratrice devient une cornemuse et la sculpture représente un centenaire courbé sous le fardeau des ans, replié sur son instrument qu’il ne peut discerner qu’en protégeant ses pauvres yeux de la lumière.

Son dernier poème est «revêtu par l’absence tragique de son dernier vers d’un émouvant prestige de chant du cygne». Je souligne des expressions très mallarméennes, mais ce cygne de cambré risque fort de se transformer en Bossuet. Quant à émouvant prestige — à rapprocher de ça long vit ? vide, nul, petit, que ça ! extrait de [v] et du début de [vi] — cela pourrait évoquer la «prouesse» de Pérot et la déception de la matelote.

Venons-en à l’armateur Boulien et à sa servante, chassée pour vol, qui brise un miroir en usant d’un «presse-papiers». On peut voir une mule — à rapprocher de pape y est — ou une corne à chaussure dans ce presse pas pied. Pour le bris de miroir, la seconde solution semble préférable, mais la servante pourrait être une mule à tresses, renvoyant doublement à la “croisée” de [ix] [7]. Il est à craindre que cette famille d’armateurs de Saint-Nazaire n’ait fait fortune dans le commerce triangulaire.

Brisé, le miroir révèle son secret : feu Boulien père y a enchâssé un document menant à un trésor. Cela se résume à peu près ainsi :

La croisée, auteur d’un délit, rue une corne sur le papier de feu Boulien, document unique que scelle le défunt tenu en le miroir, dans l’oubli fermé par le cadre.
Les mots des vers [ix] à [xiii] sont un peu dans le désordre, mais avec Mallarmé, n’est-ce pas. . .

«Du vif-argent coula». Voilà qui est très étonnant. Nous n’ignorons pas que le tain est un alliage de mercure et d’étain, mais ledit mercure ne peut certainement pas couler lors du bris d’un miroir. Pour tout savoir de la glacerie et résoudre l’énigme, nous allons utiliser le Littré, à l’article tain, comme dictionnaire encyclopédique :

“ On étend, sur une grande table de pierre mobile et à rebord, des feuilles d’étain laminé ; on les recouvre d’une couche de mercure de quelques centimètres d’épaisseur ; on glisse la glace qu’on veut mettre au tain sur le bain de mercure ; et on fait écouler le mercure surabondant en redressant la table de pierre, A. BRONGNIART ”
Nous comprenons maintenant : Boulien père a posé son message sur la feuille d’étain avant de recouvrir le tout de mercure. En adhérant à la glace, l’amalgame qui se forme autour du document crée un véritable cadre et emprisonne le mercure situé entre le papier et le verre. En brisant le miroir, la servante ne met à nu que «le coin d’un papier», une corne, mais, lorsque le fils aggrave «le dégât», il fait couler tout le mercure et rien ne masque plus les instructions de son père.

Le défunt voulait tordre le cou à trois croyances (ou crédences) superstitieuses en faisant naître un trésor du bris de miroir, du vendredi et du chiffre treize. Ce sont en fait trois porte-bonheur qui conduisent à la découverte. Ce n’est pas la glace mise au tain que la servante a atteinte, rien d’heureux n’en serait sorti, c’est le verre blanc qu’elle a brisé. Ensuite, l’inventeur du trésor doit «s’adosser aux treize vers», c’est-à-dire au rondeau du bossu. Enfin, il doit se placer sous Persée — n’oublions pas que Pérot, «en enfourchant Pégase» à vingt ans, s’est identifié à Persée. Les sous percés portent bonheur, conviction qui n’est plus très répandue de nos jours, mais que Geneviève exprime avec force dans l’Étoile au front[8] .

3.3 Géographie variable

Pour découvrir l’île au trésor, il faut «s’adosser aux treize vers», c’est-à-dire aux treize (rimes d’)or. J’ai cherché sans succès d’autres allusions au roman de R. L. Stevenson : ni bouteille de rhum ni jambe de bois visible ; seule la carte qu’étudie Norius pourrait se rapporter au roman ; quant à la localisation du trésor par alignement, elle évoque plutôt le Scarabée d’or.

Pérot est le «chantre attitré de la mer et des marins». Stevenson et Poe sont certes des chantres de la mer et des marins, mais le qualificatif «attitré» conviendrait mieux à d’autres écrivains, Herman Melville par exemple. Cela laisse penser que, si le document abonde en localisations précises, les villes du texte sous-jacent diffèrent de celles du texte apparent.

La scène se déroule en principe à Saint-Nazaire où Boulien a l’œil fixé sur Vendredi et Robinson, noms de deux rochers à figure humaine. Il s’est adossé aux «treize vers» mais c’est le quatorzième qui va donner la clef de l’énigme : de saintes îles à Sion sitôt le septuor. On pourrait penser aux îles principales de la côte atlantique, il est usuel d’en compter sept, ou encore aux Sept-Îles, en face de Perros-Guirec, mais cela ne rendrait compte ni de saintes ni de Sion ; il y a beaucoup mieux.

Boulien contemple l’archipel de la Semaine-Sainte, ignoré des cartes géographiques, composé notamment de l’île de Lundi (saint), de celle de Mardi, autre allusion à Melville, de celle de Vendredi qui frappe particulièrement son regard, et enfin de l’île de Pâques — ce qui permet de localiser l’archipel et d’expliquer la présence de profils rocheux de grande dimension. Notre armateur se trouve sur la côte chilienne, quelque part au sud de Valparaiso ; dirigé vers Vendredi, son rayon visuel effleure une île de l’archipel Juan Fernandez, celle de Robinson ou plutôt de son modèle, le marin Selkirk. Il semble difficile d’être plus précis : si les coordonnées de l’île Selkirk sont parfaitement connues, Vendredi se trouve en un point quelconque d’un archipel dont nous ignorons l’étendue.

Vendredi est «plus lippu» que Robinson et c’est un autre «chantre attitré», Joseph Conrad, qui nous révèle que Boulien se trouve à Concepción. Ayant sous les yeux la rade de conception, il n’est pas étonnant qu’il y perçoive des grandes lèvres et des petites lèvres.

Que l’armateur possède un œil d’aigle ou de condor, nous le croyons volontiers, mais que son rayon visuel puisse atteindre l’île de Pâques, non. Il pourrait bien se jucher sur les plus hauts sommets andins que la rotondité de la Terre s’y opposerait. Ce n’est certes pas Roussel qui négligerait ce point : il écrit sévèrement

«Pour qui n’a rien appris la terre est un plateau [9] »
et, au chapitre III des Impressions d’Afrique, le chimiste Bex nous explique que, sans l’interposition d’une plaque d’étanchium, l’attraction des mines d’aimantine «se fût exercée à n’importe quelle distance sur les navires sillonnant l’Atlantique et même jusqu’aux rivages américains, si, par impossible, la courbure de la terre ne l’avait empêché.»

Comme nous l’apprenons cinq pages plus loin, c’est l’art du cartographe et du monnayeur qui permet de donner vie à cette histoire :

«En 1788, aux fêtes du quatrième centenaire de l’exploit d’un de ses enfants, le navigateur Discoul, qui le premier, en 1388, franchit la ligne, la ville de Nantes a créé une commémorative monnaie locale — un écu d’argent à complète géographie, sorte de Terre plate dont l’équateur, à dessein, est fait d’or.»

3.4 Terre plate

La «ligne» franchie, que l’écu a d’or, est apparemment l’équateur, et Discoul aurait eu près d’un siècle d’avance sur les Portugais. Ce serait trop simple.

Nous ne sommes pas à Nantes, mais à Dieppe, et l’anniversaire est un tricentenaire. En 1488, quatre ans avant Colomb, Jean Cousin découvre l’Amérique. C’est peut-être par le chapitre LXXX de la Vie mode d’emploi que le lecteur connaît cet exploit et la parenté d’imagination de Roussel et de Perec est frappante : tous deux ont bâti une histoire complexe de cartes géographiques autour de la rivalité des deux découvreurs. Les édiles dieppois ont dû s’appuyer sur la relation des voyages de Cousin publiée par Desmarquets en 1785 [10] — on y trouve des arguments et des invraisemblances — et ils ont eu trois ans pour battre monnaie.

Cousin est censé avoir découvert l’embouchure de l’Amazone. À la différence de Colomb, il a pu franchir l’équateur, mais les Portugais l’avaient déjà fait en 1471. Ce qu’il a franchi le premier, c’est la ligne d’arrivée. On peut penser que les Dieppois ont malicieusement doré l’Équateur, et non la Colombie voisine [11] , pour souligner le retard du Génois, mais il semble que la concurrence des deux marins ait été encore plus aiguë.

Observons le prince Norius, «conspirateur exilé par son frère le roi d’Ixtan» :

«Cramponné à l’idée de prendre la couronne et plein de projets pour son règne futur, il examinait ce jour-là dans la côte de l’Ixtan une sorte de fissure qu’il rêvait d’élargir pour en faire un mouillage.»
En faisant du mouillage une mouillette, et en lisant cran-pond-nez, on découvre que cette fissure est le Cran aux œufs, près du cap Gris-Nez. Élargi, le cran deviendrait une anse, et on peut extraire Nez, anse au nord de [viii]. Nul n’ignore que, le premier, Christophe Colomb eut l’idée de faire un cran aux œufs pour assurer leur stabilité. Nous sommes moins loin de Dieppe qu’il n’y paraît : les crans du Boulonnais sont les valleuses du pays de Caux et, si Norius est cramponné à l’idée de prendre la tonsure (autre sens du mot couronne), c’est la valleuse du Curé, près d’Étretat, qu’il a sous les yeux.

La couronne royale est une sorte de mélilot, ce qui prolonge l’information fournie par Melville. Le royaume lui-même ne nous fera pas quitter la haute Normandie. Les seigneurs d’Yvetot portaient le titre de roi et tenaient leur royaume en franc-alleu, c’est-à-dire exempt de toute servitude. L’un d’eux, nommé Pierre Chenu, servit de modèle au sympathique personnage chanté par Béranger : “Il n’avait de goût onéreux/ Qu’une soif un peu vive”. Il était surtout connu par son surnom de Pérot[12] (voir www.remydegourmont.org). On comprend que Roussel, identifiant le roi d’Yvetot au roi Pétaud, lui ait choisi un pseudonyme intermédiaire.

Jean Cousin, quatre ans avant Colomb, a inventé le franc cale-œufs. Un œuf posé sur un sou percé reste en équilibre ; c’est simple, mais il fallait y penser. Les cartographes dieppois, qui jouissaient d’une réputation méritée, ont eu à résoudre un problème digne de leur génie : représenter les deux hémisphères sur un sou percé dont le cercle intérieur, instrument du triomphe de Cousin, est mis en valeur.

PIC

Il ne s’agit pas d’un mode de projection nouveau, il est connu depuis l’Antiquité, mais il faut l’utiliser de manière inhabituelle. Le schéma ci-dessus illustre le principe de la projection stéréographique centrée au pôle nord N. Au changement d’échelle près, à chaque point M de la sphère terrestre correspond un point m du plan équatorial (la carte), à savoir le point de ce plan situé sur la droite NM. Dans une mappemonde, on utilise cette projection pour représenter l’hémisphère sud, dont la carte a l’aspect familier d’un disque, et la projection stéréographique centrée au pôle sud pour représenter l’hémisphère nord.

Nos cartographes se sont attaqués à l’hémisphère boréal, après en avoir retiré une calotte entourant le pôle nord contenant des contrées alors inexplorées, en utilisant la projection du schéma. Au point P correspond toujours l’intersection p du plan équatorial et de la droite NP. La carte prend la forme de l’anneau représenté en gris, les régions voisines de l’équateur y sont proches du petit cercle porteur de la dorure, tandis que les régions septentrionales, démesurément agrandies, se trouvent rejetées à la périphérie. La distorsion des longueurs et des surfaces est considérable, mais les angles sont conservés, c’est la principale vertu de la projection stéréographique. Bien entendu, l’autre face du sou percé représente l’hémisphère austral à l’aide d’une projection centrée au pôle sud.

Mais, objectera-t-on, si l’on retire de chaque hémisphère terrestre les environs du pôle, une mappemonde usuelle se laisserait graver tout naturellement sur un sou percé ; l’on obtiendrait d’ailleurs le même résultat en projetant simplement sur le plan équatorial parallèlement à l’axe des pôles. C’est exact, mais l’équateur doré «à dessein» serait alors le cercle extérieur, qui n’est pour rien dans l’exploit de Cousin.

3.5 Une immaculée conception

Revenons à Boulien père — nous avons découvert que ce militant de la «Ligue Antisuperstitieuse», cet «esprit affranchi», peu conséquent avec lui-même, était plutôt un impie irrationnel et était peut-être même timbré (l’esprit et la lettre. . .) — pour le quitter aussitôt et découvrir la famille Migrel.

«A vingt ans, déjà mère d’un bâtard, Annette Migrel, bergère vocalement douée à miracle, faisait s’attrouper les promeneurs lorsque, en gardant ses bêtes, elle chantait non loin d’une route.
      Découverte et lancée elle fut grande étoile. . .»

Nous avons là un magnifique exemple d’énigme roussélienne, où chaque mot compte, et compte double. Annette s’identifie à la fois à sainte Germaine Cousin, pauvre bergère dont les miracles ont illustré le village de Pibrac, et à une braque dont un roi de France, cité par Littré à l’article greffier, nous conte les amours :

“ Ils [certains chiens de chasse] s’appellent greffiers pour ce que du temps du roy Louis XII on prent un chien de la race des chiens blancs de saint Hubert, et en fait on couvrir une braque d’Italie qui estoit à un secretaire du roy qu’en ce temps là on appelloit greffier, CHARLES IX, De la chasse. ”
Le chien blanc garantit le caractère immaculé de la conception et Claude Migrel, le «bâtard», se trouve être un greffier. «Découverte et lancée», cette chienne d’arrêt couverte par le grand chien est une incarnation de Sirius — une «grande étoile» appartenant à ladite constellation — et c’est sa basse taille qui stupéfiait les passants. Notons enfin, nase et tube étant des synonymes argotiques de nez, que saint Hubert s’identifie à saint Nazaire et nous mène à la fois au cap Blanc-Nez et à (Immaculada) Concepción.

Vous trouvez cela trop beau, Lecteur ? Vous pensez qu’il peut s’agir d’une série de merveilleuses coïncidences ? Eh bien considérez cet extrait de la page 85 des Nouvelles Impressions d’Afrique : l’on pourrait prendre

«                             — pour le goinfre à refrain
Qu’à force d’applaudir on prend, le cousin braque
Qui fonce en plein plafond 
Pensez-vous vraiment que ce «cousin braque» puisse être là par hasard ? Que Roussel ait simplement imaginé que l’on pourrait confondre un gros moustique avec un petit moustique, et qu’il ait jugé cette intéressante idée digne d’être mise en vers ? En ce qui concerne le «goinfre à refrain», nous comprendrons son rôle plus tard.

Annette, «mère ambitieusement prodigue, dota son fils des meilleurs maîtres». Donner des trésors pour des centaures n’est pas une mauvaise affaire, et l’un de ces maîtres-étalons fut un pédagogue hors pair. Il semble bien que Claude ait voulu faire carrière dans la poésie. Doté des meilleurs mètres, il

«sentit son atavisme faire frein en lui à de nobles aspirations nées de ses connaissances étendues. Forcé, après cent efforts vains, de se reconnaître fruit sec, il. . . laissa passer l’heure de l’hymen.»
Ne faut-il pas traduire “La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres” ? L’art du greffier, il est vrai, est fort éloigné de l’inspiration lyrique et les oreilles pendantes, si elles peuvent empêcher de marcher, ne prédisposent pas à l’envolée, mais le principal responsable de son échec et de sa «misanthropie», c’est le fait que π est irrationnel.

Vous allez comprendre, Lecteur, c’est une histoire de pieds. En poésie grecque ou latine, un dibraque est un pied composé de deux brèves tandis qu’un tribraque comporte trois brèves. Quant au pibraque que l’atavisme impose à Claude, il est bien sûr constitué de π brèves. Si π était égal à vingt-deux septièmes, notre apprenti poète aurait pu composer des chefs-d’œuvre en vers de sept pieds, c’est-à-dire de vingt-deux brèves. Si π ne différait pas de la fraction 355/113, en usant d’un mètre de 113 pibraques, soit 355 brèves, il aurait écrit des poèmes ne manquant pas de souffle. Mais «cent efforts vains» l’ont convaincu que jamais un nombre entier de pibraques ne vaut un nombre entier de brèves [13] .

Ne négligeons pas santé, fort vin... fruit sec. Plusieurs vins capiteux ont la réputation de rétablir les convalescents, mais Malaga produit aussi des raisins secs réputés. Boulien a pu se rendre en cette ville et diriger son regard vers le département d’Oran. Son rayon visuel a alors effleuré l’île d’Alboran. Nous trouverons des albes plus loin, parmi lesquels un albe atroce, et nous découvrirons que l’association de laissa passer l’hymen à la «misanthropie» de Claude n’est pas sans objet.

La mort d’un «cousin veuf», annoncée par une «lettre du pays» [14] , lui fait adopter Jacques, «un enfant de trois ans voué à l’hospice». L’expression «pendant atavique» semblerait exagérément recherchée pour désigner le fils d’un cousin si Roussel ne nous y avait préparés en employant le mot «atavisme» quelques lignes plus haut. Ce ne peut être sans intention mais l’image qui vient naturellement à l’esprit, la symétrie dans l’arbre généalogique, est inadéquate : il y a une génération d’écart entre Claude et Jacques. Il faut y voir une autre métaphore, tous deux sont issus d’un croisement, et surtout lire “au sens propre”. Jacques a les oreilles pendantes ; il n’a pas hérité ce caractère de ses parents, mais d’ancêtres braques plus éloignés. Le cousin germain de Claude, neveu de la bergère Germaine Cousin, est un berger allemand qui a épousé une chienne de Saint-Bernard disparue prématurément. On comprend que Jacques était «voué à l’hospice» du Grand-Saint-Bernard et l’on s’explique mieux les raisons du voyage au Piémont sur les traces de Bonaparte : Jacques a pu visiter la famille de sa mère, puis celle de la “braque d’Italie”.

«Avec soin il choisit pour gouvernante une pécore de tout repos.
      Et Jacques, sous l’aile d’Eveline, grandit loin de l’alphabet.»
Il n’est pas surprenant que cette pécore munie d’une aile ait, comme Claude et Jacques, des traits zoomorphes. On peut même soupçonner que son duvet garnit tous nos oreillers. Ce qui est plus déconcertant, nous l’apprenons plus loin, c’est qu’Éveline lit son journal — qui ne doit donc pas être composé dans notre alphabet. Faire de la gouvernante une wahabite résout le problème, mais en pose un autre. Cet enfant élevé sous l’aile d’un jars semble s’identifier à Nils Holgersson ; pourquoi ?

3.6 Saturne

«À cinq heures de relevée», le jour de la bataille de Marengo, «le Temps, engourdi soudain dans son vol», tomba endormi «suspendant là le cours des choses». On y lit d’abord un célèbre hémistiche que Littré cite avec quelque malice : “Ô temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse, THOMAS, Ode au temps. Ô temps, suspends ton vol ; et vous, heures propices, Suspendez votre cours, LAMART. Médit.”. La poésie est omniprésente dans le texte, sous toutes ses formes, même si le sonnet, cadre trop étroit pour le génie de Lamartine, y joue un rôle privilégié.

Il faut comprendre aussi suspends soir et penser au traitement que Saturne fit subir à son père Uranus. Les suspensions ne manquent pas dans ce document : seize lustres, les oreilles des braques, l’exécution d’Enrico Vivarès et sans doute les tirets. Ils sont exceptionnellement nombreux et ne répondent pas vraiment aux exigences de la ponctuation ; on trouve même des incises apparemment banales, comme «, — une île sauvage où nul n’aborde, —», où ces tirets doublent les virgules. Il semble que ce soient plutôt des signes suspensifs qui noteraient des pauses dans une lecture orale et qui seraient justifiés par le caractère très ramassé de l’écriture.

Varly, réalisant une sculpture de ce fait mémorable, «fit alterner par larges bandes, en drapant son Temps, le marbre rose et le marbre noir — non sans semer partout des pois en saillie de la couleur adverse». Les bandes correspondent aux longues périodes, l’une d’elles dure quinze ans, où Varly fut alternativement heureux et malheureux. Les pois roses évoquant les «rares bonheurs de ses périodes sombres», ainsi que les pois noirs de signification opposée, représentent des durées beaucoup plus courtes : ce sont des pois de cent heures (et peut-être aussi des points de suspension). Pois de senteur est synonyme de gesse odorante et, avec bien des années d’avance, l’artiste préfigure Verlaine en disposant ses strates parallèlement et en y incrustant sa gesse. En tant que couches de temps, les larges bandes figurent jadis et naguère ; en tant que rectangles semés de pois, ce sont des dominos noirs et roses, accessoires obligés des fêtes galantes. Nous avons compris que cette statue du Temps est un véritable poème saturnien.

Il n’est pas anormal que Saturne dorme d’un sommeil de plomb. Roussel nous apprend d’ailleurs que soudure, habituellement alliage de plomb et d’étain, désignait aussi le sommeil de midi. Il serait piquant que le Temps soit pris d’un besoin pressant, de coliques de plomb. La tour Bossenelle, au «sommet en ruines» et qui a donc perdu ses plombs, pourrait se nommer Bonneselle et affecter la forme d’un gigantesque thomas — à l’hémistiche de qui le Temps aurait répondu. Le texte ne dit rien sur la forme de la sculpture bicolore qui domine le Pô, nous ne pouvons avoir que des soupçons. Si c’est un pot noir et rose que Varly a réalisé, “Prose” serait un bon titre — à la fois métonymie argotique, antithèse et paronomase — pour ce poétique thomas. On peut même songer à l’à-peu-près Prose pour Desaix teinte. Quoi qu’il en soit, nous allons découvrir une grande unité d’inspiration dans l’œuvre sculpté de Varly.

3.7 La pose de la naïade

Varly a un «riche cadet utérin», François Varly, qui porte néanmoins le même patronyme. Sa voisine Lucette, «ouvrière à mère infirme», lui sert de modèle.

«Aux heures de chômage, fréquentes, hélas ! Lucette venait poser pour la Dryade câlinant un faon, — parée d’une couronne sylvestre dont une feuille, à l’issue de la première séance, s’était glissée dans un livre.
      Or la vue de la dryade bouleversa François — qui bientôt épousa le modèle.»
Nous nous attendrions plutôt à une nixe, et il est tentant de transformer la dryade en naïade, ce qui incite à chercher une contrepèterie. Lecteur, je peux vous proposer ceci :

/9 D/12 r/7 i/3 iade/4 c/2 â/11 l/5 i/1 n/8 ant-t/13 un/6 f/10 aon ,

/1 n/2 â/3 iade/4 c/5 i/6 f/7 i/8 ant-t/9 D/10 aon/11 l/12 r/13 un.

Ces contrepèteries généralisées, où l’on va jusqu’à permuter treize tronçons, sont très dangereuses et ne peuvent être déchiffrées que si l’on pressent le contenu de la phrase transformée. Le nombre de permutations possibles dépasse l’imagination [15]  ; les envisager toutes est sans espoir, pour Roussel comme pour nous. Ici pourtant, la solution obtenue s’accorde si bien avec les autres indices que nous pouvons être confiants et y voir la preuve que Roussel, entre autres jeux phonétiques, fait place aux contrepèteries pour écrire son texte sous-jacent.

Nous sommes à la première scène de l’Or du Rhin, et l’ordure ne doit pas nous dissuader de lire magot-Rhin. Varly est l’albe blanc, Wotan, et François le riche albe noir, Albérich. Celui-ci est fasciné par cette naïade qui fiente dans le Rhin — on peut extraire vesse, pet et laid parle : “fais nixe” de [iii] — et, plus heureux que chez Wagner, il va posséder à la fois l’or et la nixe.

François épouse Lucette «vers 1778» et meurt quinze ans plus tard «partageant entre sa veuve et son frère». La «mère infirme» (“qui n’est pas ferme”, premier sens donné par Littré) est sans doute une La Mole. Lors du partage, en 1793, Lucette a dû hériter de la tête comme il est d’usage dans sa famille. La sculpture du Temps peut porter encore un nom bien simple : le Rose et le Noir.

«Varly se déclara enfin».

«— Je savais tout, dit Lucette. Un jour, arrivée trop tôt pour la pose, comme, désœuvrée, je maniais vos livres, je trouvai la feuille et compris.»

Nous connaissons maintenant la profession de Lucette ; cette ouvrière gardienne de l’or qui veut «dorer les vieux jours» de sa mère est une doreuse : “MANIER. Terme de doreur. Manier les couches de blanc pour dorer, les frotter avec la brosse” (Littré). La feuille ne s’est pas glissée toute seule dans le livre, nous l’avions deviné, mais nous comprenons maintenant que le sonnet d’Arvers y est inscrit. Comment mieux résumer ces quinze années où Varly, amoureux de sa belle-sœur, garde le silence et ne reçoit d’elle que de «sororales attentions».

Cela ne peut suffire ; Lucette n’aurait rien pu conclure de la lecture du sonnet, et c’est Arvers lui-même qui nous le révèle : “Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :/ «Quelle est donc cette femme ?» et ne comprendra pas”. Les allusions au Misanthrope nous y ont préparés, le poème se transforme en le sonnet d’Oronte. Ce n’est pas que “Belle Philis, on désespère,/ Alors qu’on espère toujours” soit plus révélateur, mais ce sonnet est “bon à mettre au cabinet”. C’est là qu’avaient lieu les séances de pose, nécessairement, et la selle y mène le confirme. «À l’issue de la première séance», la feuille a trouvé son emploi à revers, et le fétichisme de Varly qui a conservé pieusement cette relique ne laisse plus place au doute.

«Fétichisme» est le titre d’un sonnet que Roussel a inséré dans Nanon[16] . Il s’agit d’une pratique bien innocente, Sylvestre ne fait que baiser les boucles blondes de feu sa bien-aimée, mais le poème mériterait une lecture plus attentive : l’éclat des boucles est comparé «À l’or que le vieux Rhin recèle dans ses boues».

La feuille pourrait encore porter le texte de certain sonnet dû à la collaboration de Verlaine et de Rimbaud [17]  : c’est sans doute la beauté des reins de cette fille du Rhin qui «bouleversa François». On peut dans ce qui précède remplacer Rhin par Pô, et donc reins par pot. C’est alors un opéra italien, la Fortune du Pô, qui se substitue à celui de Wagner.

3.8 Le faune au tantôt

«Un matin. . . Jacques, musard éternel, venait de regarder les gravures d’un livre». Dans le texte, les mots italiques tranchant sur du romain et les mises en relief inverses évoquent pour lui les pois noirs et roses de la statue. «Le soir. . . il exposa son parallèle à Migrel».

Nous ne savons rien de ce qui se passe l’après-midi. Ce mot est tabou dans tout le document où il est remplacé par des synonymes beaucoup moins courants : relevée et tantôt. L’expression «cinq heures de relevée», terme de procédure, peut passer pour un archaïsme admissible dans la relation d’une bataille héroïque. En revanche, dans un passage didactique où l’auteur nous explique que soudure fut synonyme de méridienne car ce sommeil «soudait le matin au tantôt», ce dernier mot est d’un niveau de langue parfaitement incongru — alors que relevée y prendrait son sens originel.

Il est des noms dont il ne faut pas ignorer le sens : “MUSE. Terme de vénerie. Le commencement du rut des cerfs”. La matinée n’est qu’un prélude ; musard le matin, Jacques entre en rut l’après-midi. C’est l’Après-midi d’un faune qu’il feuilletait, et pas dans n’importe quelle édition.

“L’APRÈS-MIDI D’UN FAUNE parut à part, intérieurement décoré par Manet, une des premières plaquettes coûteuses et sac à bonbons mais de rêve et un peu orientaux avec son «feutre de Japon, titré d’or, et noué de cordons roses de Chine et noirs», ainsi que s’exprime l’affiche ;”
S. MALLARMÉ, bibliographie de l’édition de 1898.
On sait que les passages en italique sont nombreux dans le texte et ce sont les gravures de Manet que contemplait Jacques. Lorsqu’il «mit le signet» entre deux pages, ce sont les cordons noirs et roses qui ont rempli cet office, et ce sont eux qui lui ont rappelé, bien plus concrètement que le concept de mise en relief, la statue bicolore du Temps. Si Jacques s’identifie à un jeune cervidé, la première œuvre de Varly, la dryade câlinant un faon, n’a pas dû le laisser indifférent. Surtout si la vénusté de la dryade s’accorde aux prédilections de ce faune au tantôt.

C’est l’après-midi, après la sieste de Carrier, que «la marquise reçoit l’un des convoités écus — et s’embarque». Est-ce vraiment pour l’Angleterre, ou pour Cythère ?

3.9 Une châtelaine sous la Terreur

L’argument de cette œuvre lyrique réserve certainement bien des surprises mais je n’ai pas dépassé le stade d’une lecture superficielle où le lieu et l’époque sont inchangés.

Une chose est sûre : lorsque Roussel écrit de Carrier qu’il est «armé des foudres de la noyade», il ne s’agit pas d’une métaphore digne de Joseph Prudhomme. Ces foudres doivent être de grands tonneaux et le conventionnel nous semble déjà plus humain s’il s’avère qu’il noyait les ennemis de la Révolution dans des fûts de Malaga. En fait, le «sertino» qui apparaîtra plus loin laisse penser que ces noyades sans barque ont lieu dans des citerneaux.

Pour délivrer les sous durs servant de «permis d’embarquement», Carrier exige que le vœu de départ soit expliqué «valablement par écrit». Valable signifiant “qui doit être reçu en justice”, on comprend que le vœu doit être enregistré par un notaire. Carrier est connu pour ses mariages républicains tout autant que pour ses noyades. La lecture notaire si, Cythère no montre que lesdits mariages se déroulaient dans le plus strict respect de la légalité. La marquise, «arrivée à l’heure dite avec l’argent et l’écrit», apportait la dot et le contrat de mariage.

Que penser de la nuit de Noël ?

«La scène, coupée en deux, montre la chapelle du château où un petit groupe écoute la messe — et un salon à médianoche prêt.
      Soudain un chœur révolutionnaire dans la coulisse — suivi d’un regard jeté avec commentaires par la fente d’un volet et d’un enfoncement de porte.»
Si la Carmagnole accompagne le bris de la porte du salon, on peut lire, avec l’aide de [v], diptyque sacré, danse au salon. Seule une aristocrate pouvait réunir une telle quantité de ptyx. Le commentaire langue, oie ce minuit, extrait de [ii], pourrait préciser le menu du médianoche. Cela dit, les «meilleurs suppôts. . . brisant tout sur l’autel» pourraient être au nombre de huit, et l’ordre de s’attaquer au Saint Sacrement suivrait les «commentaires» de Carrier : hep ! huit-z-aides, hep ! leurs osties. Que ça vexe ce seul objet dont le néant s’honore !

Si Carrier est pris d’un sommeil de plomb pendant sa «soudure», celle-ci pourrait bien ne s’achever qu’«à cinq heures de relevée». La marquise sortirait alors de chez elle à la même heure pour aller au rendez-vous. Roussel, qui prétendait ne rien savoir du surréalisme, se serait-il emparé de sa condamnation du roman pour en faire un défi et le relever ?

“ Paul Valéry . . . m’assurait qu’en ce qui le concerne, il se refuserait toujours à écrire : «La marquise sortit à cinq heures» [18]

Si la rencontre a lieu non seulement à l’heure d’un moment décisif de la bataille de Marengo, mais le jour où la nouvelle en parvient à Rome, il ne peut s’agir que de l’entrevue de Floria Tosca et de Scarpia. Les deux volets du diptyque évoquent d’ailleurs assez bien le décor des deux premiers actes. La cruauté est commune à Carrier et à Scarpia, mais «très vénal» convient beaucoup mieux à ce dernier. Bien évidemment, leurs attitudes vis-à-vis de la République et de la religion étant diamétralement opposées, la messe de minuit devrait se transformer en une scène tout autre.

3.10 Le vilain mire

«Médecin sans diplôme qu’attendaient les menottes, Sableux devait quelque réputation à un coup de chance». Nous croyons comprendre que ce porteur de cornes se livre à l’exercice illégal de la médecine, et que le coup de chance est la guérison de Norius qui suit immédiatement. Ce serait méconnaître la malice de Roussel.

Nous ne quittons pas la Normandie : ce mari trompé est une réincarnation de Charles Bovary qui, en guérissant par chance le père d’Emma, acquit une certaine considération. Toutefois, s’il n’était ni docteur en médecine ni même bachelier, Charles exerçait la médecine en tant qu’officier de santé et la gendarmerie n’avait rien à lui reprocher. Les «menottes» semblent donc incompréhensibles mais Littré vient à notre secours dans son Supplément à l’article bot : “Main bote, déformation congénitale ou acquise des mains”. Apparemment, toutes les mains botes de la région n’avaient d’espoir qu’en ce spécialiste ès pieds bots.

On imagine mal Charles Bovary battant son épouse et il faut abandonner Flaubert. Notre empirique réussit à guérir de sa cécité le prince Norius en suscitant chez lui une grande frayeur. C’est là l’argument, déformé bien sûr, du Vilain mire et du Médecin malgré lui où Martine-Doumuse est la compagne rossée. Nous devons quitter aussi Molière puisque celle-ci trompe Sableux qui «se contentait de battre une Doumuse bassement galante». Nous le soupçonnons même de tirer profit de sa complaisance, auquel cas ce vilain mire serait l’alphonse de la Martine, déjà rencontré plus haut.

Il passe sous la fenêtre du prince Norius dans les circonstances suivantes.

«Sableux passait à ce moment avenue Fortas, se rendant à certain club scientifico-médical fondé par un philanthrope — où, à force d’intrigue, il s’était fait recevoir. Il savait qu’à midi, en fin de séance, on devait remettre à chacun, après un tirage au sort, une piste de découverte à suivre, non sans appâter la réussite d’une prime intéressante.»

Encore une belle énigme, ce club non nommé sur lequel nous avons tant de détails étranges, et l’on peut en chercher longtemps la solution. Il s’agit du loto-maux bile-club, mais son fondateur était vraisemblablement un misanthrope et non un philanthrope. Il devait être atrabilaire, et rien ne s’oppose à ce qu’il ait été amoureux. Sableux habite rue Barel, dont il faut peut-être faire la rue Rabelais [19] . C’est un club encore plus prestigieux, le Jockey Club, qui y a son siège, mais, quelles que soient ses intrigues, il est impossible que notre empirique y ait été admis.

S’il n’était qu’un vilain mire, il aurait été rejeté aussi de l’Automobile Club, mais c’est un mire beau. De toutes les œuvres d’Octave Mirbeau, c’est certainement la 628–E8 qui a décidé de son adhésion. Nous savons aussi maintenant que le journal que lisait Eveline est le Journal d’une femme de chambre, un roman à cadre normand, et le Jardin des supplices pourrait peut-être nous éclairer sur l’affreux drame de la rue Barel. Identifié à Charles Bovary, Sableux est encore un mire à bots. En jouant au citerneau avec Mirabeau-Tonneau, on obtient une précieuse confirmation : c’est un mire à botes aussi. Quatre incarnations pour Sableux, cela peut sembler beaucoup, mais il en reste d’autres à découvrir.

Il se remémore

«certain jour où, en se bouchant les oreilles pour être moins gêné par Doumuse, qui faisait à l’écart ses exercices vocaux, il lisait un passage du Racelon de Pragé, ce précurseur dont les livres, malgré de faibles tirages initiaux, ont survécu à tant d’autres.»
Ce passage est difficile à comprendre avant une lecture des Impressions d’Afrique — j’entends lecture du texte sous-jacent — où l’image de la femme exécutant le grand écart, la femme en T, apparaît à plusieurs reprises [20] . Ici, Doumuse, «à l’écart», s’écrie sans doute “je suis en T”. Si les exercices vocaux consistent à répéter inlassablement “l’Azur, l’Azur, ...”, on comprend que Sableux se bouche les oreilles.

Quant au «précurseur», il semble bien que ce soit Roussel lui-même, et l’on trouve dans les Impressions d’Afrique plusieurs jeux sur le mot amaurose. Ici, les «cécités subites d’espèce passagère» définissent les amauroses en termes précis et concis. Varly, en alternant ses couches de marbre pour décrire ses «états d’âme», a opposé l’âme au rose à l’âme morose. Dans cette maladie, qui est pour Littré une paralysie de la rétine et du nerf optique, l’œil lui-même n’est pas affecté ; cela devrait nous permettre de lire correctement la phrase suivante :

«Un coup de vent attira le prince Norius à sa fenêtre, par où venait de s’envoler sa carte, qui montait le forçant à lever ses yeux — qu’un fort éclair détruisit soudain lui arrachant un cri.»
Si le pronom relatif «qu’» ne peut avoir «yeux» pour antécédent, c’est donc la carte qui est détruite, nécessairement, et Norius semble en être très ému, pour une raison à découvrir.

C’est une association d’idées bien naturelle qui a permis à Sableux de poser aussi rapidement un diagnostic d’amaurose. Tandis qu’il se faisait expliquer les symptômes de Norius, son esprit était encore plein des préoccupations de son club : la lutte contre la cirrhose.

3.11 Enrico Vivarès

Ce héros mexicain s’est enrôlé dans la Farquita à l’issue d’une série d’épreuves :

«Lâché seul dans un labyrinthe, longtemps, bravant l’angoisse, il marche vers l’inconnu, guidé à chaque carrefour par une flèche.
      Il parvient à la fin sur l’estrade d’une salle pleine, où l’un des chefs le gifle publiquement, non sans que l’accompagnement d’une formule polie ne fasse de son geste le simple emblème d’une forte hiérarchisation.»
La formule polie pourrait bien nous être révélée par Roussel dans Comment j’ai écrit certains de mes livres : lors d’une représentation de l’Étoile au front, Robert Desnos répliqua “Nous sommes la claque et vous êtes la joue” à un adversaire criant “Hardi la claque”. Cette cérémonie qui ressemble à une confirmation doit se dérouler dans une cathédrale — Chartres, Amiens ou autre — pourvue d’une flèche et d’un labyrinthe.

Vivarès «échoue» chez les Gordias (quatre frères et leurs quatre sœurs), inventeurs d’un nouveau jeu : le sertino qui «exige beaucoup de joueurs — et huit jeux, dont chacun porte sur toutes ses cartes le portrait d’une des huit planètes souligné par son nom».

Apparemment, ce sertino utilise des cartes à jouer, beaucoup de cartes à jouer. Que pourrait-on comprendre d’autre en voyant Carcetta jeter un «trèfle-Uranus» ? D’autres combinaisons ne manqueraient pas d’intérêt : carreau-Mercure qui renvoie à Boulien, ou encore carreau-Jupiter. Les carreaux ou pierres de foudre étaient des aérolithes que l’on disait être lancés par la foudre ; ils évoquent ici d’une part le coup de foudre frappant Enrico et Carcetta : «un croisement de regard les rive pour toujours l’un à l’autre», d’autre part un bel alexandrin “Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur”, extrait du Tombeau d’Edgar Poe que nous retrouverons bientôt.

Et pourquoi le sertino ne serait-il pas une variante du jeu de pile ou face, où chacun des huit joueurs disposerait d’un sou percé, orné comme à Dieppe de deux cartes d’une planète ? Son nom, logiquement, devrait être le Terre si no. Confirmation : si Carcetta «entend marcher l’arrivant», c’est qu’on peut extraire huit sous. Tiens ! lent pas de [ii]. Mais alors, ce trèfle-hure-anus ? Eh bien, trèfle étant un synonyme argotique d’anus [21] , Carcetta a joué comme qui dirait pile face pile ou encore no si no. Les «subtiles raisons» de son choix porteraient sur les propriétés de la double négation exprimées ainsi : si = itère no, ce qui nous renvoie aux citerneaux égalitaires de Carrier. Les «portraits» des «huit planètes», ou plutôt de leurs dieux éponymes, doivent être entendus au sens propre : le côté face montre un visage dont le trou forme la bouche. Cela permet de ne pas violer des résultats fondamentaux de topologie : un corps humain, dont on tient le tube digestif pour extérieur, peut se déformer en un sou percé ; c’est impossible pour une sphère et les cartographes dieppois ont dû renoncer à représenter les zones polaires.

Quels sont les deux clans qui s’affrontent au Mexique ? La «Farquita» semble bien être l’Église romaine [22]  : elle «cherche en vain à ordonner le Mexique» et Enrico sera pendu par les siens «assisté d’un prêtre». Si le mariage et le baptême par immersion sont les attributs de Carrier, cette ligue dispense confirmation, ordination et extrême-onction. L’équivalence as = un transformerait Gordias en gordien ; nous aurions ainsi la lutte du «nœud coulant», emblème de la Farquita, et du nœud gordien. Mais l’as, le sou des Romains, est à conserver et nous avons vu Jacques opposer l’italique au romain.

Recruté par la curie et «héros de mille aventures», Vivarès est un curie-as. Sa fiancée, Carcetta, est Camille et on peut extraire espère Albe bru de [iii]. Il est vrai que ce curie-as, fils d’Albe chez Corneille, est devenu catholique romain, et qu’il est seul à combattre les quatre frères de Camille : le carré d’as formé des frères or-as, champions des jeux d’argent.

Nous comprendrons un peu plus loin, dans l’appendice, que si Albe est devenue Rome, Rome s’est changée en Gomorrhe. Nous découvrirons aussi quel est le secret, révélé par Carcetta, qui a des suites tragiques.

«De quiconque livrera un de nos secrets sera mis sous presse un ironique éloge funèbre, dont l’envoi lui annoncera sa proche et sûre pendaison.»
Conformément aux statuts de la Farquita, Vivarès reçoit effectivement son ironique éloge funèbre dont la double association du «nœud coulant» à la pendaison permet de reconstituer le début :
Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change,
Le Vivarès suscite et . . .
Quant à l’«ange funèbre aux ailes noires emportant son esprit», il doit représenter les “noirs vols du Blasphème épars dans le futur”.

Pourquoi cet Épilogue de Secours qui, comme dans the Beggar’s opera, substitue un happy end à la pendaison ? On peut y voir le classique dilemme : marié ou pendu, mais le responsable est vraisemblablement Lamartine : suspends dévot, autre recours.

Le «cadre mexicain» du roman justifie le jeu sur le si et le no ainsi que la lutte entre factions cléricale et anticléricale. On doit aussi noter que la dislocation du nom de Pancho Villa soulignerait à merveille l’emblème de la Farquita.

3.12 Histoires de famille

Nous ignorons le prénom du sculpteur et en savons un peu plus sur «son frère, François Varly, un riche cadet utérin» [23] . Le contexte hispanique aidant, il est naturel de l’appeler par son diminutif Pancho, à moins que l’on ne préfère Çanfrois. Le prénom de l’aîné ne peut être que Sancho ; ces deux frères ne sont manifestement pas consanguins ; ils sont donc nécessairement utérins ; c.q.f.d. [24]

Sancho Pança et Jacques (un Pan à sang chaud) pourraient accompagner Pancho Villa au pied du gibet de Vivarès.

Le point suivant est plus douteux, mais nous aurions dû déjà remarquer que Varly, en sculptant son Temps, a alterné marbre rose et marbre mélané — ce qui participe, avec Melville et le mélilot, aux ambiguïtés chronologiques et géographiques du récit. Sa vie est une véritable tragédie et, bien que le texte ne fasse pas référence à sa muse (à la différence de Pérot, Ole. . . et Jacques), ce devrait être Melpomène. La Maine ferait de Varly une incarnation de David d’Angers mais, quelque considérable que soit l’œuvre de celui-ci, c’est un monument qu’il n’a pas réalisé qui renverrait à celui de Marengo. Lors de son séjour à Londres, nous apprend Larousse, “on lui offrit de travailler au monument commémoratif du triomphe de l’Angleterre à Waterloo. Il refusa avec indignation”.

«Et Varly, après tant de souffrances silencieuses, eut de longues joies d’époux et de père — jusqu’au jour où la mort brusque de son fils unique fit de sa femme une aliénée.»
Plus loin, le sculpteur évoque «sororales attentions de Lucette, sourires esquissés à sa vue par la pauvre folle».

Il y a là une amphibologie due à l’emploi des pronoms possessifs, et la folle peut être l’épouse ou la bru de Varly. Dans le second cas, le fils de Lucette et du sculpteur serait Arturo, dont la mort brusque suit de très peu la signature de l’acte de mariage avec Lucia de Lamermoor. Cela introduit, pourquoi pas, deux Lucie dans la famille. Dans l’autre interprétation, Lucette, qui a doré les vieux jours de sa mère, assassinerait son propre fils. Elle serait à la fois Lucie à la mère d’or et Médée. Il semble y avoir un mot qui s’associe à elle de bien des façons.

Voilà Lucette promue chanteuse étoile tout comme Annette. S’il en est de même d’Eveline, ces trois diminutifs peuvent inciter à lire

E Luce, Ève, Anne, le stelle...

Ce début du lamento de Tosca renverrait à la Marquise sous la Terreur.

Venons-en aux amours de Norius.

«Le prince avait d’une maîtresse française un idolâtré fils de douze ans, Harbert, lycéen bien doué à qui venait d’échoir, sous la forme d’un accessit, Enrico Vivarès, un roman à cadre mexicain.»
C’est le récit de la guérison qui va nous éclairer : «Simulant une terrible consternation, Klédi courut dire au prince que l’enfant avait disparu». Il faut lire Klédi simule détresse et donc aussi clef : dissimule des tresses. Des tresses, ainsi qu’une mule, sont effectivement dissimulées dans ce passage. La «maîtresse française» ne peut être que la servante-mes-tresses jadis chassée par Boulien. Il est compréhensible que l’enfant d’une mule embrasse la cause du pape et veuille s’engager dans la Farquita.

Ce n’est pas au lycée que l’on distribue comme prix des ouvrages de propagande religieuse, et c’est un accessit de catéchisme qu’a obtenu Harbert. Il est en âge de faire sa première communion et a donc, comme Vivarès, été récemment confirmé par l’évêque. Ayant reçu les sept dons du Saint-Esprit, il est indiscutablement «bien doué». Si je ne craignais que l’on taxe d’impiété non pas Roussel mais son commentateur, j’ajouterais que l’intervention du Saint-Esprit ne serait pas inutile pour rendre fertile une mule et j’évoquerais certaines caricatures blasphématoires du Calvaire : cet enfant «idolâtré» possède, au moins en partie, les caractères de l’espèce asine.

3.13 Timbres

Lucien Brelmet vient de «manger en peu d’années un joli capital et une collection de timbres fameuse». Le cadre normand, les villes et les cornes doivent nous mettre sur la voie : ce «jeune héritier» est le marquis Henri de Corneville qui, dans les Cloches de Corneville, finit par hériter de plusieurs sacs d’or. Ce n’est pas seulement ce trésor que Brelmet a dilapidé ; il faut y ajouter toute la collection des célèbres cloches. Il n’est plus possible de penser que le timbre restant est un timbre-poste. Que savons-nous de lui ?

«Puis un timbre s’était créé, — polychrome et naturellement taillé en trapèze, — celui-là même dont Brelmet avait un spécimen.
      Le fameux timbre, employé peu de temps par un petit groupe, était des plus rares et des plus chers.»
La description du timbre — de gauche à droite Ole, sa muse, une foule et six illustrations de ses poèmes — nous apprend que sa largeur est très supérieure à sa hauteur. Pour un timbre-poste, ce serait bien plus inhabituel qu’une forme trapézoïdale et, toutes proportions gardées, on pourrait songer à la tapisserie de Bayeux. Consultons Littré :
“ Après le sens de tambour, timbre a pris celui de tout ce qui sonne, cloche, etc. . . Se disait, chez les pelletiers, d’un certain nombre de peaux de martre ou d’hermine. ”
Pour proclamer sa gloire, le président Ole s’est fait faire un tambour très particulier. Un timbre de peaux de martres est préalablement «taillé» et cousu, par un tailleur qui donne à l’ensemble la forme d’un trapèze très large. Ces peaux, préparées en parchemin et confiées à des miniaturistes, sont finalement tendues sur une caisse. La forme insolite de l’instrument ne se comprend que si un «petit groupe» de percussionnistes l’utilise simultanément. Heureusement, le spécimen de Brelmet a été employé «peu de temps», et les enluminures ont gardé toute leur fraîcheur.

Si ce «jeune héritier» a la mauvaise habitude de mordiller ses crayons, le joli capital qu’il a «mangé» pourrait être une mine de plomb. À moins qu’il ne faille changer le plomb en or. Brelmet serait l’Héritier de Robinson, dont nous avons vu le profil plus haut. Il existe en effet des coïncidences pour le moins troublantes entre l’alignement visuel de Boulien et le roman d’André Laurie. Un descendant du célèbre naufragé s’y trouve pris dans une tempête aux alentours de l’île de Pâques. Ses compagnons et lui sont rejetés sur la fameuse île déserte qui se révèle être une île au trésor, renfermant une mine d’or d’exploitation facile. Un vaisseau construit de leurs mains, chargé notamment d’une ample provision d’or et d’une collection d’instruments de musique en cuivre, les mène enfin à Valparaiso. Mine et collection de timbres, Brelmet aurait tout dévoré.

3.14 Le président Ole pose

Le poète Ole est en principe président d’une république minuscule mais le timbre, où il pose près de sa muse et de ses chefs-d’œuvre, montre que le culte de sa personnalité y est passablement développé. Peut-être faut-il voir en lui un monarque, réincarnation du roi Pausole, mais aussi du roi (poète) Pétaud et du roi d’Yvetot. Ce dernier, si l’on en croit Béranger, traitait nombre de ses sujettes comme des épouses.

L’île d’Eisnark, «perchée en plein Océan glacial», semble bien être l’Ultima Thule des anciens. Voilà Ole identifié au roi de Thulé “qui jusqu’au tombeau fut fidèle”. . . à ses 366 épouses. Ou bien encore au roi des zones polaires, à rapprocher de aune-or et aune-yx.

Thulé ou Tulipatan ? Cette île, située par Offenbach et ses librettistes “à 2500 km de Nanterre”, conviendrait parfaitement. On y trouve un souverain débonnaire Cacatois XXII, accompagné de son grand sénéchal Romboïdal. Il semble que le jeu sur cacatois (voile carrée) et rhomboïdal (en forme de parallélogramme) ait plu à Roussel, et qu’il l’ait prolongé en faisant un trapèze de l’île d’Eisnark.

Outre ces potentats de fiction, Ole pourrait représenter plusieurs présidents de la République. Il faut revenir à la commémoration de l’exploit de Discoul, ou plutôt de Jean Cousin, mais il s’agit bien d’un «quatrième centenaire». Nous sommes en 1888, sous la présidence de Sadi Carnot, et l’achèvement du canal de Panama serait le meilleur hommage que l’on pourrait rendre au hardi découvreur. Aussi un emprunt sous forme d’obligations à lots est-il lancé par la Compagnie du canal, les parlementaires s’étant laissé convaincre plus ou moins facilement d’en autoriser l’émission. Sur le plan symbolique pour célébrer l’exploit de Cousin, comme sur le plan pratique pour le remboursement par tirage au sort, un écu commémoratif est un titre de propriété idéal. La Compagnie ayant été mise en liquidation l’année suivante, ces titres n’ont plus de valeur, et Carrier-Carnot «est maître du lot». Le jeu sur si-no se prolonge en jeu sur ye(s)-no.

Quant à Félix Faure, sa présence est indispensable dans le document. Bien sûr, ses aventures galantes peuvent rappeler Pausole et, comme Ole et Sadi Carnot, il «mourut prématurément», mais là n’est pas l’essentiel. Pérot aligne des «rimes d’or» et il y a six rimes en ix dans le sonnet de Mallarmé. C’est fais l’ix faux or qui permet d’effectuer la conversion.

Le faux or semble bien être l’or musif. Le mélilot ne nous a pas trompés : notre collection s’enrichit des îles d’If et d’Ormuz. On relie celle-ci et le détroit du même nom — la «passe dorée» — à l’«Ixtan», pays inconnu dont la dénomination évoque les environs du golfe Persique ; la «carte partielle d’Asie» qu’étudie Norius pourrait représenter les régions voisines. Varly disait-il à son frère Mets au pot ta mie avant les séances de pose ? Mie étant aussi le nom donné par les enfants à leur gouvernante, aurait-on dit Mets au Pô ta mie[25] à Jacques lors du voyage dans le Piémont ? On peut encore, mais c’est bien douteux, associer le Tigre à Clémenceau et au Panama, et l’Euphrate à la déconvenue de Colomb supplanté par son rival.

La gouvernante de Jacques a-t-elle été aussi son initiatrice ? Notre «musard» a dû alors l’appeler mie-mie en son tout jeune âge, puis Musette après la puberté. Cette apparition de la Bohème, nouvelle œuvre de Puccini, permet de voir en Eveline une troisième chanteuse étoile. Si Jacques n’était pas, croyons-nous, totalement ignorant de l’alphabet, nous lui ferions dire “là beau M” devant l’édition de luxe de l’Après-midi d’un faune.

3.15 Double assassinat rue Barel

La liaison de Brelmet et de Doumuse va déclencher le drame :

«Or le jaloux Sableux, qui se contentait de battre une Doumuse bassement galante, vit rouge en se découvrant un rival patricien.
      Ayant ouï parler d’un proche vendredi treize, il voulut agir ce jour-là, apte à doublement favoriser, pensait-il, l’œuvre de mort qu’il projetait.
      Une absence simulée attira au jour dit le couple chez lui, — où sa clé lui permit d’entrer et de faire deux cadavres criblés de balles.
      Rappelé aux assises, tout cela, à travers la presse et Eveline, atteignit Jacques. . .»
Avec quelque pratique des énigmes rousséliennes, on repère rapidement «lui», «sa» et «lui» dans la troisième phrase et l’on doit se demander si ces mots se rapportent bien à Sableux. Répondre non, quitte à chercher longtemps une autre lecture possible, est en général le bon réflexe, mais Roussel s’est ici surpassé et la réponse finale sera oui et non.

S’il est permis de lire à travers la presse et la mie noire, «l’œuvre de mort» commence à apparaître dans toute son horreur. Nous avons vu qu’Eveline est une mie, et notre wahabite pourvue d’une aile pourrait être “l’enfant d’une nuit d’Idumée, noire à l’aile saignante”. Nous avons d’ailleurs déjà rencontré la mi-noire (la mulâtresse-croisée) et, si Varly a par périodes l’âme au rose, il a indiscutablement l’âme mi-noire. N’oublions pas la mine noire (de plomb ou de graphite) de Brelmet, de la mine hoir ajouterait-on en style poétique. La dislocation du miroir, dans l’ancienne langue, semble être un élément-clef de la construction de Roussel [26] .

Eveline pourrait être aussi un jars d’Inde et le Littré apporte quelques arguments à l’appui de cette thèse : “PÉROT. Nom vulgaire du dindon. . . basse Norm. une pérote, une oie”. On rapprocherait alors jars-dinde [27] et supplices, ainsi que la mine et les Indes noires.

Pourquoi faire appel à une presse et à un laminoir pour cribler deux corps de balles ? Ces corps sont transformés en écumoires — un cliché banal — mais Sableux, en qui nous avons cru voir un lecteur de Roussel, est attaché à la qualité du style et à la propreté des métaphores. Jamais il ne s’autoriserait écumoire ni même «criblé» sans avoir préalablement réduit les deux corps à l’état de feuilles minces. Peut-être faut-il voir encore en la mie noire une mie-rabot, ce qui permettrait d’atteindre la perfection. Pour savoir ce que sont les «assises» vers lesquelles «tout cela» est rappelé, il faut consulter Littré : “ASSISE. Dans l’ancien armement, partie de la batterie d’un fusil à silex ; la table qui renferme le bassinet”.

La machine infernale comportait encore toute une batterie [28] de fusils à silex. Il va sans dire que le maître de balles entrées a veillé à la parfaite régularité des perforations.

3.16 Strange case of Dr. Sableux & Mr. Brelmet

C’est R. L. Stevenson qui va nous faire comprendre la situation. Misérable empirique, Sableux peut se transformer en un beau, riche et noble jeune homme, qui n’a certainement rencontré aucun obstacle pour être admis au Jockey Club et qui a séduit la maîtresse de son double. Le Dr. Jekyll devait faire usage d’une préparation chimique aussi complexe que mystérieuse pour devenir Mr. Hyde, mais Roussel dispose de moyens autrement efficaces pour faire un «patricien» d’un praticien.

Peut-on être jaloux de son autre personnalité, peut-on la haïr au point de vouloir sa mort ? Roussel répond oui et en tire les conséquences : une action directe étant impossible, la seule solution envisageable est le piège à retardement. Les compétences de Sableux en mécanique justifient largement son adhésion à l’Automobile Club : c’est une véritable chaîne de fabrication d’écumoires, entièrement automatisée et commandée par la serrure, qu’il a conçue et réalisée. Cette usine pourrait s’appeler une batterie, nous l’avons vu, ou bien encore un martinet (“Sorte d’usine ainsi nommée du marteau ou martinet qui en est le principal agent”).

Le fameux vendredi treize, devenu Brelmet, il va quérir sa bien-aimée et revient rue Barel en sa compagnie. «Sa clé» (tout à la fois celle de Sableux, de Brelmet, de Doumuse et du couple) lui permet d’entrer et de mettre en action cette terrifiante merveille. Il était important de bien lire le mot «assises» : aucune cour criminelle n’aurait pu juger un homicide aussi singulier. Il est probable que les corps amalgamés n’ont produit qu’une seule écumoire. Cela permet de lire ainsi le destin de Doumuse : elle, défunte, tenue en le mire-hoir, en corps.

Comment ne pas penser à un autre génie de la métallurgie et de la mécanique dont Homère nous a conté les déboires conjugaux ? Vulcain a lui aussi conçu un piège à retardement, déclenché automatiquement par les ébats des amants adultères, et il a attiré ceux-ci par une «absence simulée». Il apparaît toutefois beaucoup moins terrible que Sableux et son filet de chaînes suscite non pas l’horreur mais le rire inextinguible des dieux. Voilà qui nous permet d’adjoindre Mars-Brelmet et Vénus-Doumuse à Mercure, Saturne, Jupiter, Uranus — et bien sûr la Terre — déjà identifiés. Le huitième sou percé du sertino pourrait représenter Vulcain plutôt que Neptune [29] .

Nous avons fait allusion plus haut au triste destin des génitoires d’Uranus et l’on n’ignore pas que Vénus naquit alors de l’écume de la mer fécondée par sa semence. En style de plus en plus poétique, on écrirait Vénus, de l’écume hoir...

«Doumuse en profita pour essayer de percer par d’élogieux articles et de somptueux costumes de scène. . . Elle chantait alors en banlieue. . . Or les riches costumes et les échos louangeurs firent leur effet et Doumuse parut sur une scène à la mode»

Ces costumes pourraient bien être des fourrures. Un timbre de martres par exemple, en écho à cette définition du Littré : “La bête martine, ou, substantivement, la martine, démon qui se montre sous la forme d’une martre”. C’est la Vénus à la fourrure, peut-être armée d’un martinet, qui a séduit Brelmet. Le Dr. Jekyll soutenait que tout homme est multiple, qu’il contient un individu aspirant au bien et un autre voué au mal ; son invention lui avait permis de donner vie séparément aux deux hommes qu’il portait en lui. Roussel est moins métaphysicien et plus psychologue. L’un des avatars de Sableux-Brelmet bat Doumuse sadiquement tandis que l’autre va satisfaire ses pulsions masochistes aux pieds de la même femme.

Si les «courtes notes biographiques» de Comment j’ai écrit certains de mes livres sont plus que suspectes, on peut relever des allusions à la vie de Roussel dans les Documents en forme de canevas[30] . Dans celui que nous lisons, on trouve non seulement un «précurseur» à «faibles tirages initiaux» mais encore un riche héritier ayant mangé un joli capital. Il nous a fallu plus de travail pour pouvoir lire que sa personnalité est multiple.

Les martres laissent penser que Doumuse chantait à Montmartre, dans quelque beuglant devinons-nous. Les échos louangeurs qui lui ont permis de paraître sur une scène à la mode sont sans doute dûs à Willy qui utilisait le pseudonyme l’ouvreuse du cirque d’été. L’on comprend mieux que les exercices vocaux se fassent «à l’écart». Se produire en T au cirque des T, rivaliser avec la belle Otéro sur cette scène célèbre, est pour Doumuse le couronnement de sa carrière. Roussel doit user ici de son pouvoir de resserrer le temps : l’Automobile-Club est créé en 1895, le Cirque d’été est détruit en 1899 mais Montmartre, en toute rigueur, ne peut être dit «en banlieue» qu’avant 1860.

3.17 Ole et ses poèmes

Le fameux timbre représente Ole dans un paysage polaire accompagné de sa muse, «personnage de rêve inaccessible au froid». Deux noms de peintre ont été déjà évoqués dans le document. Manet pourrait avoir fait graver une version hivernale de son Déjeuner sur l’herbe mais la «mise légère (à la mode d’hier)» ferait plutôt choisir Eva prima Pandora de Jean Cousin pour représenter la muse.

Nous avons identifié plus haut cet éphémère président à plusieurs monarques, mais nous avons omis le roi Candaule. Comme ce dernier, il n’a pas résisté au désir de montrer sa muse nue aux tambourineurs et il a aggravé son cas en ne le lui cachant pas. «Ole mourut prématurément». Sous les coups d’un percussionniste ?

Des six poèmes personnifiés sur le timbre, nous connaissons le titre, en italique, et une brève description. Les titres sont peut-être des contrepèteries. Ainsi, on peut transformer le Doux Préavis en la Vie de Pérou ; cela ne nous fait guère progresser mais nous laisse penser que cette vie est une énigme. Plusieurs descriptions proviennent d’extraits du sonnet de Mallarmé, où Roussel s’autorise à appliquer de manière récursive les procédés suivants : suppression ou ajout d’un e muet, dédoublement d’un phonème, coalescence de deux phonèmes identiques.

Eppur, très court extrait de [i], correspond à «l’Homme à la Cape rose[31] , dont le héros est un débauché de la Venise du seizième siècle». Il s’agit de Galilée, citoyen de Venise qui eut à se repentir d’avoir été débauché par Cosme II de Médicis. En extrayant asthme mine, huit sous tiens ! de [ii] et espère râle brûle de [iii], on obtient «Où peut mener l’amour du lucre, vibrant cri d’horreur contre une mendiante, heureuse que la toux de son enfant stimule par l’apitoiement la générosité publique». Sur les craies danse, dans [v], illustre «le Gagnant en liesse, qui roule sur l’euphorie d’un jeune joueur de marelle à victoire proche et sûre».

Avec «la Chaîne matinale, où s’enfuient en se tenant par la main les rêves d’une jeune fille dont renaît peu à peu la conscience», nous retrouvons la Tétralogie. La jeune fille est Brünnhilde, s’éveillant au troisième acte de Siegfried et murmurant, avant d’être détrompée, un fragment de [iii] : main, rêve, est-ce père Albe ? Je n’ai rien trouvé de semblable pour «le Doux Préavis», ni pour «la Dernière Fleur où apparaît, cent millénaires franchis, le globe terrestre tué par le froid». Cette image semble provenir de The Time Machine de Herbert George Wells, mais on peut y lire année que cent mille ans séparent, âge de coma, pas vie, et remonter le temps jusqu’à la campagne d’Italie de Bonaparte.

3.18 Le chiffre treize

Roussel utilise cette expression à deux reprises ; il n’ignore pas que treize est un nombre et non un chiffre ; reste à trouver ce qui se cache derrière cette incorrection apparente.

On pense d’abord à un procédé cryptographique bien connu dont Jules Verne a fait le ressort principal de la Jangada. Appliquer le chiffre 13 à un document, c’est avancer chaque lettre alternativement de 1 et de 3 positions dans l’ordre de l’alphabet. On peut ainsi transformer no en or — deux éléments clefs de l’épisode — ou encore, phonétiquement, Ole en Pô, mais le butin est maigre et je n’ai pas trouvé grand-chose d’autre. C’est d’autant plus surprenant que le remplacement d’une lettre «par sa suivante alphabétique» apparaît dès la seconde phrase du document.

Reste le système de numération vicésimal, qui nécessite l’emploi de vingt chiffres, dont un chiffre treize.

“Système vicésimal, celui où un chiffre devient vingt fois plus fort en reculant d’un rang vers la gauche. Notre langue, dans la nomenclature des cent premiers nombres, suit le système décimal de 20 à 60, et le système vicésimal de 1 à 20, de 60 à 80, et de 80 à 100, puisqu’on y emploie les mots onze, douze, treize, quatorze, quinze, etc.”
Littré a indiscutablement raison pour les nombres compris entre 80 et 96. Ainsi, quatre-vingt-treize s’écrirait avec un chiffre quatre (le chiffre des vingtaines) suivi d’un chiffre treize (celui des unités). Par contre, la langue suit encore le système décimal de 60 à 69, puis un système mixte : notre soixante-treize s’énonce septante-trois dans le système décimal et trois-vingt-treize dans le système vicésimal.

Les nombres, explicites ou implicites, qui contiennent vingt et surtout quatre-vingts sont très nombreux dans tout le document. Les trois premières phrases nous offrent 1880 et la biographie de Pérot, scindée en «vingt ans» et «seize lustres». Le trésor est découvert en 1890, Carrier est à Nantes en 1793, année de la mort de François Varly (quinze ans après 1778), Ole devient président en 1884 ; ajoutons-y 1388 (l’exploit de Discoul) et ses centenaires successifs.

Il faut rapprocher quatre-vingts d’un autre mot-clef (pardon Lecteur) :

PASSE-PARTOUT. Clef qui peut ouvrir plusieurs portes.
      Clefs pareilles qui servent à plusieurs personnes pour ouvrir une même porte.
      Cadre avec glace dont le fond s’ouvre à volonté pour recevoir des dessins, des gravures, etc.
      Sorte de crible à trous ronds.
      Nom de la brosse dont se servent les boulangers. . .  On l’emploie aussi pour épousseter les volumes. . .
Le passe-partout (clef) de Sableux, Brelmet et Doumuse a ainsi transformé ces deux personnages en un passe-partout (crible). Lucette se servait certainement d’un passe-partout (brosse) pour manier les livres de Varly. L’ingénieux passe-partout (cadre) conçu par Boulien père a reçu le plan d’un trésor. Enfin, les derniers mots du rondeau, “dans l’oubli fermé par le cadre se fixe”, font surgir les deux compagnons de voyage de Phileas Fogg : Passepartout et Fix.

3.19 Le tour du monde en quatre-vingts ans

Voilà qui nous permet de combler un vide de seize lustres dans la biographie de Pérot et il n’était pas nécessaire d’enfourcher Pégase pour établir ce record de lenteur. Le passage des Nouvelles Impressions d’Afrique cité plus haut [32] opposait au «cousin braque» un «goinfre à refrain». Cela caractérise doublement notre joueur de cornemuse, que nous avons vu manger salement sa matelote (ou se tenir mal avec une matelote). C’est en effet un maringouin et Littré nous explique la dislocation : “GOUIN. Terme de marine. Matelot d’une mauvaise tenue”. Ce pourrait être encore un marin-gau ou plutôt un gau-marin : “GAU..., préfixe péjoratif, qui, suivant M. Lehéricher, signifie faux, mauvais, et se rattache au breton gwal” [33] .

Il manquait encore un roi à notre collection : Melchior, le roi mage qui offre l’or à l’enfant Jésus, selon certaines sources du moins, mais dont le nom désigne un alliage imitant l’argent. La forme de la lettre grecque khi diffère peu de celle de notre x et, en majuscule, ne s’en distingue pas. On peut ainsi adjoindre le mêle-ix-or ou mêle-χ-or à mêle-villes, mêle-îlots, mêle-années et mêle-Pô-Maine, et identifier Pérot à Melchior — le mage est lent — pour justifier à nouveau les treize rimes d’or de son rondeau : le faux or fait l’x. La tradition étant très vague sur le pays d’origine des rois mages, l’Ixtan est un bon candidat.

Quoi qu’il en soit, Pérot a eu largement le temps de passer partout et la «complète géographie» qui orne l’écu pourrait caractériser tout le document. On y trouve l’équateur (la ligne), une méridienne (la «soudure») et Jacques «exposa son parallèle». Les îles et îlots, apparents ou sous-jacents, réels ou imaginaires sont très nombreux ; ajoutons-y des caps, des détroits, un cran, une valleuse, une rade, une anse, peut-être un isthme, des fleuves et des villes. Reste à savoir si Roussel s’est limité à accumuler ces éléments ou s’il y a plus à découvrir, un itinéraire par exemple.

La conclusion du document : «Et le jeune retardataire eut enfin des maîtres» pose problème. Elle est apparemment justifiée par «l’article de la Ligue Antisuperstitieuse» qui convainc Migrel des méfaits de l’ignorance, mais nous avons surpris Boulien père en flagrant délit d’irrationnalisme et il faut changer d’explication. Si c’est le jeûne du vendredi saint que celui-ci a voulu associer à la découverte d’un trésor, le pauvre Jacques a dû être mis à la diète :

Et le jeûne retarda tes ruts en fin des mètres.

Le document s’achève sur un bel hommage au pouvoir évocateur des alexandrins de Mallarmé.